Trois jours dans le massif du Mt Blanc

Trois jours dans le massif du Mt Blanc

Météo du 26 septembre 2011
L’anticyclone persistant, écrase toute la France sous un ciel bleu. Le matin sera frais avec un peu de regel nocturne dès 3200m d’altitude. L’après midi sera chaud et calme sans vent. Seuls quelques nuages sans conséquence pointeront le nez en début de soirée.

6h : le sac jeté sur l’épaule, ma frontale cherche la sortie du couloir sombre de la bâtisse. Le faisceau s’arrête sur l’écriteau d’une porte, je lis : « Refugio Torino ». T’as perdu l’accent Alain, ici on prononce « Toriii….no » en insistant sur l’avant dernière syllabe. Tu devrais le savoir, quand tu n’accentuais pas cette syllabe, les élèves ne répondaient pas à l’appel de leur nom au lycée de Bastia. Mais … ne fallait pas dire que les corses parlaient comme les italiens, ouh là là !! Fallait surtout ne pas dire ça.
On marche depuis ¼ heure dans la nuit sur le glacier. La température permet de s’activer sans transpirer. Le bruit du chantier s’estompe peu à peu. Derrière nous, à 3500m d’altitude, 2 énormes grues accrochées à la montagne. Sous les projecteurs, pelleteuses, bétonneuses, ouvriers construisent la nouvelle gare supérieure du téléphérique italien. Ainsi la jonction sera au niveau de la gare d’arrivée de la Vallée Blanche. C’est le progrès, y aura plus besoin de se servir de ses jambes pour passer de l’une à l’autre, en utilisant ce que l’on appelait autrefois des escaliers.

Mes yeux se sont habitués à l’obscurité, j’éteins la frontale. Au loin devant nous se dressent les silhouettes de la Dent du Géant et de l’Aiguille de Rochefort : le noir pur sur fond bleu nuit, tableau magnifique, je prends des photos. Nous passons la rimaye sans difficulté, le jour se lève, un coup d’œil au rocher… Le changement de couleur du granit sur les 5 premier mètres montre à l’évidence que ces dernières années le glacier a diminué d’épaisseur. Gardant les crampons aux pieds on se faufile dans le mixte facile sans s’encorder. Quelques instants de pause ( et de pose), pour prendre des photos, admirer le lever du soleil sur les 3 Mt Blanc et échanger quelques mots sur le choix de l’itinéraire dans le labyrinthe des rochers. Les langues de neige se font de plus en plus rares, on quitte les crampons. La marche devient plus naturelle, plus aisée. Clin d’œil du soleil au ras de la crête frontalière, nous sortons bientôt de l’ombre. J’ai un petit creux à l’estomac, c’est normal, nous arrivons à un endroit nommé : « la salle à manger ». Lieu enchanteur orné d’un monolithe de granit baigné de la lumière rose du soleil levant : la Dent du Géant. J’admire les lignes géométriques des dalles, fissures et dièdres grimpant vers son sommet.
Notre moral est comme la météo au beau fixe et même pas fatigués : nous avons le projet de grimper la dent au retour de la traversée des arêtes de Rochefort. C’est possible dans la journée, on a lu ça dans le topo : « … si vous en avez le courage, il est classique d’enchainer…. » . Du courage j’en ai encore la pleine musette… pour l’instant.

Devant nous les fines et fameuses arêtes frontalières, si souvent célébrées et photographiées. Parlons-en !! Imaginez que vous marchez sur un sentier étroit comme la largeur d’une seule chaussure. Lorsque le pied arrière a l’envie de passer devant son frère, ce qui est normal quand on se déplace, il doit le faire avec grande précision sans que les dents des crampons (si utiles pourtant mais tellement fourbes) n’accrochent le bas du pantalon. Plus loin la trace passe tantôt versant italien tantôt français. La technique de marche est celle du Dahu (que j’ai apprise sans jamais avoir rencontré l’animal) dans des pentes très raides de neige encore dure. L’attention mais aussi la tension sont à leur maximum. Aucun regard même bref n’est accordé au paysage dans ces moments là. Je me sentais quand même plus à l’aise lorsqu’on était côté français. Non pas par patriotisme : j’ai dépassé depuis longtemps cet état primaire de l’homme cocardier qui … non mais peut être que inconsciemment je pensais que si je me cassais la gueule, je serais plus vite rentré chez moi, moins de paperasses à faire à l’entrée d’un hôpital français et puis celui de Chamonix a parait il très bonne réputation.

Francis a trouvé un relais sur rocher au bout de la crête de neige. Il installe un rappel pour contourner le gendarme de l’antécime 3933 mètres. La trace continue coté italien sous une corniche de neige. Toiture protectrice faussement rassurante que le soleil réchauffe trop rapidement à notre goût. Nous tirons des longueurs dans les quelques centaines de mètres de mixte accédant au sommet de l’Aiguille de Rochefort.

Belvédère pour le pique nique avant notre retour. Photos, photos et encore photos, casse croute et contemplation dans le silence. Le Glacier du Géant, la Vallée Blanche… Quelle était blanche ma vallée ! il y a 30 ans pendant le stage d’initiateur d’alpiniste. Elle a fondu, minci, maigri, l’éclairage rasant du soleil dévoile la moindre crevasse de cette immensité. Vielle Dame à la peau grise, fripée, ridée à l’extrême, décharnée, abandonnée à son sort, celui de disparaitre. Elle va disparaitre, il ne restera plus rien, rien qu’un squelette : arêtes rocheuses, éperons, pic…. dépouillés de neige. Elle est malade, tous les médecins de bonne volonté à son chevet ont un pouvoir dérisoire. Et Mr Machin le négationniste de service…. qui rigole.
Notre retour sur la crête de neige fut plus véloce. Arrivés au pied de la Dent du Géant vers 13 h, on est un peu fatigués, mais aucun ne l’avoue à soi même et à son compagnon. Direction la voie des plaques Burgener. Les chaussons d’escalade sont dans le sac, on les prend ou bien on grimpe en grosses ?? Allez ! on grimpe en grosses comme les anciens et les pros ! eh bien les pros n’ont pas été très brillant dans les dalles de granit. On mettra ça sur le compte de la fatigue, on ne se vantera, mais par moment on a fait plus qu’effleurer les cordes fixes installées à demeure dans cette voie par les compagnies de guides. La descente est plus rapide par les 3 rappels annonce le topo. « … beaucoup plus court, mais très impressionnant. Ne pas y amener un débutant, préférer le retour par la voie de montée… » Non mais ! on n’est pas des débutants nous : donc on s’enquille la ligne des rappels qui sont très impressionnants …. pour tout le monde. En plus nous en ferons 4 au lieu 3 …. par sécurité (eh ! mon œil !). C’est compliquée la montagne : le topo annonçait 1er rappel 46 m, 2ème rappel 35 m…. désolé, moi j’ai pas une corde graduée pour m’arrêter au chiffre 46 ou 35.
Suspendu comme une araignée, en plein gaz, je regardais incrédule, ce qui ressemblait à un relais en paroi ….à 3m devant moi, puis mon regard se fixa sur le bout de la corde (sans nœud) à 2m en dessous de moi… « j’ai du me planter ! ». Le taki walki brayait depuis un moment « tu fais quoi Alain ? hein ! T’as trouvé un relais ? ». j’étais bien embarrassé, énervé contre moi-même, épuisé à penduler pour m’accrocher en vain à la paroi. Valait mieux pas que je décroche pour répondre « Désolé, j’ai trouvé un cerisier, elles sont mûres ! je remplis ma musette. »

Enfin tout s’est bien terminé. Fatigués, c’est la nuit tombant que l’on rentra au refuge…. et demain nous avons prévu la traversée des Aiguilles d’Entrèves . Vaste programme.

Alain

….pas encore eu le temps de trier les photos. A paraitre bientôt.

5 réflexions sur « Trois jours dans le massif du Mt Blanc »

  1. Trois jours dans le massif du Mt Blanc

    Météo du 26 septembre 2011
    L’anticyclone persistant, écrase toute la France sous un ciel bleu. Le matin sera frais avec un peu de regel nocturne dès 3200m d’altitude. L’après midi sera chaud et calme sans vent. Seuls quelques nuages sans conséquence pointeront le nez en début de soirée.

    6h : le sac jeté sur l’épaule, ma frontale cherche la sortie du couloir sombre de la bâtisse. Le faisceau s’arrête sur l’écriteau d’une porte, je lis : « Refugio Torino ». T’as perdu l’accent Alain, ici on prononce « Toriii….no » en insistant sur l’avant dernière syllabe. Tu devrais le savoir, quand tu n’accentuais pas cette syllabe, les élèves ne répondaient pas à l’appel de leur nom au lycée de Bastia. Mais … ne fallait pas dire que les corses parlaient comme les italiens, ouh là là !! Fallait surtout ne pas dire ça.
    On marche depuis ¼ heure dans la nuit sur le glacier. La température permet de s’activer sans transpirer. Le bruit du chantier s’estompe peu à peu. Derrière nous, à 3500m d’altitude, 2 énormes grues accrochées à la montagne. Sous les projecteurs, pelleteuses, bétonneuses, ouvriers construisent la nouvelle gare supérieure du téléphérique italien. Ainsi la jonction sera au niveau de la gare d’arrivée de la Vallée Blanche. C’est le progrès, y aura plus besoin de se servir de ses jambes pour passer de l’une à l’autre, en utilisant ce que l’on appelait autrefois des escaliers.

    Mes yeux se sont habitués à l’obscurité, j’éteins la frontale. Au loin devant nous se dressent les silhouettes de la Dent du Géant et de l’Aiguille de Rochefort : le noir pur sur fond bleu nuit, tableau magnifique, je prends des photos. Nous passons la rimaye sans difficulté, le jour se lève, un coup d’œil au rocher… Le changement de couleur du granit sur les 5 premier mètres montre à l’évidence que ces dernières années le glacier a diminué d’épaisseur. Gardant les crampons aux pieds on se faufile dans le mixte facile sans s’encorder. Quelques instants de pause ( et de pose), pour prendre des photos, admirer le lever du soleil sur les 3 Mt Blanc et échanger quelques mots sur le choix de l’itinéraire dans le labyrinthe des rochers. Les langues de neige se font de plus en plus rares, on quitte les crampons. La marche devient plus naturelle, plus aisée. Clin d’œil du soleil au ras de la crête frontalière, nous sortons bientôt de l’ombre. J’ai un petit creux à l’estomac, c’est normal, nous arrivons à un endroit nommé : « la salle à manger ». Lieu enchanteur orné d’un monolithe de granit baigné de la lumière rose du soleil levant : la Dent du Géant. J’admire les lignes géométriques des dalles, fissures et dièdres grimpant vers son sommet.
    Notre moral est comme la météo au beau fixe et même pas fatigués : nous avons le projet de grimper la dent au retour de la traversée des arêtes de Rochefort. C’est possible dans la journée, on a lu ça dans le topo : « … si vous en avez le courage, il est classique d’enchainer…. » . Du courage j’en ai encore la pleine musette… pour l’instant.

    Devant nous les fines et fameuses arêtes frontalières, si souvent célébrées et photographiées. Parlons-en !! Imaginez que vous marchez sur un sentier étroit comme la largeur d’une seule chaussure. Lorsque le pied arrière a l’envie de passer devant son frère, ce qui est normal quand on se déplace, il doit le faire avec grande précision sans que les dents des crampons (si utiles pourtant mais tellement fourbes) n’accrochent le bas du pantalon. Plus loin la trace passe tantôt versant italien tantôt français. La technique de marche est celle du Dahu (que j’ai apprise sans jamais avoir rencontré l’animal) dans des pentes très raides de neige encore dure. L’attention mais aussi la tension sont à leur maximum. Aucun regard même bref n’est accordé au paysage dans ces moments là. Je me sentais quand même plus à l’aise lorsqu’on était côté français. Non pas par patriotisme : j’ai dépassé depuis longtemps cet état primaire de l’homme cocardier qui … non mais peut être que inconsciemment je pensais que si je me cassais la gueule, je serais plus vite rentré chez moi, moins de paperasses à faire à l’entrée d’un hôpital français et puis celui de Chamonix a parait il très bonne réputation.

    Francis a trouvé un relais sur rocher au bout de la crête de neige. Il installe un rappel pour contourner le gendarme de l’antécime 3933 mètres. La trace continue coté italien sous une corniche de neige. Toiture protectrice faussement rassurante que le soleil réchauffe trop rapidement à notre goût. Nous tirons des longueurs dans les quelques centaines de mètres de mixte accédant au sommet de l’Aiguille de Rochefort.

    Belvédère pour le pique nique avant notre retour. Photos, photos et encore photos, casse croute et contemplation dans le silence. Le Glacier du Géant, la Vallée Blanche… Quelle était blanche ma vallée ! il y a 30 ans pendant le stage d’initiateur d’alpiniste. Elle a fondu, minci, maigri, l’éclairage rasant du soleil dévoile la moindre crevasse de cette immensité. Vieille Dame à la peau grise, fripée, ridée à l’extrême, décharnée, abandonnée à son sort, celui de disparaitre. Elle va disparaitre, il ne restera plus rien, rien qu’un squelette : arêtes rocheuses, éperons, pic…. dépouillés de neige. Elle est malade, tous les médecins de bonne volonté à son chevet ont un pouvoir dérisoire. Et Mr Machin le négationniste de service…. qui rigole.
    Notre retour sur la crête de neige fut plus véloce. Arrivés au pied de la Dent du Géant vers 13 h, on est un peu fatigués, mais aucun ne l’avoue à soi même et à son compagnon. Direction la voie des plaques Burgener. Les chaussons d’escalade sont dans le sac, on les prend ou bien on grimpe en grosses ?? Allez ! on grimpe en grosses comme les anciens et les pros ! eh bien les pros n’ont pas été très brillant dans les dalles de granit. On mettra ça sur le compte de la fatigue, on ne se vantera, mais par moment on a fait plus qu’effleurer les cordes fixes installées à demeure dans cette voie par les compagnies de guides. La descente est plus rapide par les 3 rappels annonce le topo. « … beaucoup plus court, mais très impressionnant. Ne pas y amener un débutant, préférer le retour par la voie de montée… » Non mais ! on n’est pas des débutants nous : donc on s’enquille la ligne des rappels qui sont très impressionnants …. pour tout le monde. En plus nous en ferons 4 au lieu 3 …. par sécurité (eh ! mon œil !). C’est compliquée la montagne : le topo annonçait 1er rappel 46 m, 2ème rappel 35 m…. désolé, moi j’ai pas une corde graduée pour m’arrêter au chiffre 46 ou 35.
    Suspendu comme une araignée, en plein gaz, je regardais incrédule, ce qui ressemblait à un relais en paroi ….à 3m devant moi, puis mon regard se fixa sur le bout de la corde (sans nœud) à 2m en dessous de moi… « j’ai du me planter ! ». Le taki walki brayait depuis un moment « tu fais quoi Alain ? hein ! T’as trouvé un relais ? ». j’étais bien embarrassé, énervé contre moi-même, épuisé à penduler pour m’accrocher en vain à la paroi. Valait mieux pas que je décroche pour répondre « Désolé, j’ai trouvé un cerisier, elles sont mûres ! je remplis ma musette. »

    Enfin tout s’est bien terminé. Fatigués, c’est la nuit tombant que l’on rentra au refuge…. et demain nous avons prévu la traversée des Aiguilles d’Entrèves . Vaste programme.

    Alain

    ….pas encore eu le temps de trier les photos. A paraitre bientôt.

  2. Magnifique, c’est dingue tout ce que l’on peut faire quand on a trois jours, un peu de technique et … la grande forme ! Chapeau :)

  3. C’était effectivement 3 belles journées. Merci pour les commentaires, Alain. Je n’ai rien à rajouter.
    Si ce n’est qu’il faudra qu’on y retourne : on a d’autres projets qui attendent.

  4. Quelle belle histoire que celle de nos deux compères partis à l’assaut des sommets Alpins. :D Quelle belle cure de jouvance et surtout merci de nous rapporter de belles photos de ces endroits magiques de quoi nous faire rêver un peu. Et comme tu dis Marc, si on a trois jours devant nous, beaucoup de technique et une grande forme alors on peut être espérer un jour pouvoir suivre les traces de nos deux gaulois . En tout cas ça donne envie ! Bravo a plus les gars.

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