" Un dimanche en falaise " : une autre version

" Un dimanche en falaise " : une autre version du film

La journée du 16 octobre a très mal commencé. Déjà au parking, certains se plaignaient : « ouh ! Là là ! Pas la forme, j’ai pris 6 kg, et pas grimpé depuis 7 mois ». J’entends aussi : « avec cette cheville accidentée, je traine encore la patte. Faut que je remette tout en ordre, pour que le cerveau me replace en tête dans des voies honorables ». Et un autre « j’ai les tendons de l’épaule qui sont nazes, si mon kiné apprend que je grimpe encore….pfff !
Bref on était marlboro … euh ! .. malbarrés comme dirait le fumeur en écrasant sa clope.
Pas la gloire tout ça, et ça promet pour Vincent le débutant pris en tenaille dans cette équipe d’éclopés et de loosers. Heureusement tout le monde ne râlait pas…
Ah !! Voilà la falaise de 120 m qui se dresse devant nous. On s’équipe, Alain chausse son vieux casque, remis à neuf en y collant sur le devant la visière de celui de sa mob. Ça lui donne l’air mi- explorateur de la coloniale, mi- ouvrier du BTP, ou alors l’air du peureux qui veut protéger son nez, et ne supporte pas qu’il dépasse trop de l’aplomb du front.
On fait des projets : pour s’échauffer on attaque dans du 4, cotation marquée sur le topo. (ah ! les vaches, ils sous côtent dans ce pays)
« On fait quoi ? » me demande le débutant
« Le grand surplomb » répondis- je confiant, tandis que son regard inquiet remontait le long de la paroi pour s’arrêter à la masse noire du toit barrant la falaise, au-delà duquel on ne voyait plus la suite du rocher.

C’est vrai que le temps et les années usent le rocher, mais aussi … les articulations. Au bout de 10 m d’escalade, les mots m’échappent : « putain ! Ça s’est vachement patiné en 20 ans » au lieu de « t’es plus tout jeune Alain, faut te faire une raison ! ». Du pied de la falaise monte une voix : « ça va comme tu veux papi ? » … Papi !! … « Passe ton chemin, jeunesse ingrate ! »
Dans une cordée à ma gauche, la zipette d’un chausson sur le rocher attire mon oreille, puis une corde qui se tend, j’entends : « Zouiiii…..ing ».
Ponctué de : « joli vol mon loulou ! »
Suivi de : « bon Dieu ! c’est du 4 ça ? »
Mais le soleil réchauffant ce matin frais, l’arrivée du grimpeur à un relais rassurant, la quiétude de la campagne environnante, le grand silence troublé par les clochettes des chèvres, les vaches s’interpellant d’une prairie à l’autre et se racontant les potins des étables….
…. on retrouva le bonheur de grimper.
« Tiens ! Ça sent la clope ici à 40 m du sol »
Je reconnais sur ma droite un trio encordé : Marc venait de terminer l’installation du relais
« C’est à vous » lança t il à ses compagnons en contre bas, puis il renchérit
« Rocher superbe, soleil radieux, paysage verdoyant, faites vous plaisir…. que du bonheur ! »
Ben à l’autre bout de la corde, tirait taf sur taf à la cigarette qu’il venait de dégainer de sa cartouchière, laissant Guillaume « se démerder » avec la pelotte de corde emmêlée.
La bonne équipe ! Sur les trois, deux éclopés du pied qui ont choisi ce matin là de grimper une voie nommée …. « La talon ». C’est révélateur, et Mr Freud a du souci à se faire avec ces patients tout désignés.
La journée n’était qu’à moitié entamée je vis que mon équipier commençait à flancher.
« On en fait une facile maintenant ! » propose Vincent
« ouaih ! je vais voir dans les lignes à droite » répondis je en m’éloignant…
« On fait une pause… tu ne manges pas un bout, il est midi passé… » insiste t il
La fin de la phrase se perdit dans l’air, j’étais déjà plus loin, scrutant une fissure : « la fissure des pirates ». Drôle de nom de voie dans cette campagne d’agriculteurs et d’éleveurs qui ne sont surement jamais montés sur un bateau. Les images me reviennent en mémoire, j’ai fait cette voie sur coinceurs il y a plus de 25 ans, lors d’un stage avec Denis Collangette (guide auvergnat disparu) . Maintenant c’est équipé de plaquettes tous les 3 ou 4 m. Ça conviendra à Vincent , on va grimper là dedans.
La journée avançant, l’après midi vit arriver des familles entières avec femmes, enfants, chiens, casse croute… et des grimpeurs de bloc : jeunes adultes musclés, torses nus (oh ! la frime !) buste taillé en Vé dans le bon sens. On les regardait grimper : reflets dorés des muscles qui roulaient sous leur peau bronzée… mon voisin de spectacle, me pousse du coude, en me soufflant à l’oreille « on voit bien que ces gars baraqués pratiquent le bloc, peut être dans le niveau 7. Regardes ! y a des pleines brouettes de 6c et même du 7 ici » dit il en montrant d’un geste toute la largeur de la falaise. «… et bien ils sont dans une voie de 5a, et j’te dis qu’ils n’en mènent pas large…. La preuve ? Pfff … la tchatche au pied du rocher, et muet comme des carpes dans la voie. Si c’est pas un indice ça ! hein ! »
C’était bruyant autour de nous, ça grimpait de partout, est ce ça qui nous a redonné du courage et de la niaque … Je dirais que ça nous a plutôt énervé. Alors avec Marc on s’est fait une remonté de bretelles : « Les bretelles » 3 longueurs 120m 5c/ 6a. C’est une bonne voie pour se remettre « dans sa tête ». D’autre comme Mathieu et Aurélie se sont pris une voie dans le pif : « Le nez par la gauche » 2 longueurs de 5. Tandis que Ben et Guillaume teigneux ont tapé dans « Le nez par la droite » encore du 5. Et on a remis ça dans « la directe », d’autres sont partis dans « le grand surplomb »…. le soleil déclinait sur l’horizon, jetant sur la campagne la fraicheur du soir, les vaches rentraient à l’étable sur les chemins cahoteux… on s’est dit qu’on allait en faire autant.

Belle journée.
Y a qu’un moment où j’ai été mal, mais malaaaaaaade: le trajet de retour. J’étais à l’arrière dans la Peugeot de Guillaume. Ben avait pris le volant, et conduisait comme un gangster sur les petites routes de campagne évitant ainsi l’autoroute bouché.

Alain
A+
Gardons le contact, on reste encordés !

voir des photos avec le lien ci dessous, je vous laisse retrouver les prénoms des grimpeurs, et imaginer des légendes.

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