Solde du blanc … avant l’été

Solde du blanc … avant l’été

Quelques photos

https://picasaweb.google.com/lh/sredir?uname=107605176752940777402&target=ALBUM&id=6000781453764640065&authkey=Gv1sRgCPK9v-PahoDmTA&feat=email

Clin d’œil à J Luc, Mathieu et Guillaume , compagnons de ski de rando

…. en sortie de forêt apparait le vallon : clairière tout en longueur s’ouvrant sur les sommets. Mauvaise surprise : neige traffolée croutée, les spatules de skis s’accrochent dans les anciennes traces durcies par le regel nocturne, remontée laborieuse . Le ruisseau enfoui sous l’épaisse couche de neige reste silencieux. Les oiseaux matinaux se défoulent, déversant du haut des arbres une sérénade de leurs chants aigus parfumée d’odeur des mélèzes…. Ça sent le printemps, la fraicheur traverse l’épaisseur du blouson, la peau frissonne ….. exquise sensation.
Il est en marche depuis une heure, le rythme est tranquille, tout son corps en osmose avec la nature qui s’éveille lentement. Voici le carrefour des vallons : à droite c’est la gorge Chatelard qui remonte jusqu’à la cascade de glace…. Il redescendra par là. Hier, il a repéré un passage suffisamment enneigé recouvrant la barre rocheuse.
Les skis impatients, ont déjà pris la branche de gauche tandis que son regard scrute au loin un curieux chaos de bosses blanches énormes : c’est le front d’une ancienne avalanche que le soleil et le temps ont usé et lissé patiemment.
Un instant il s’arrête, choisit son chemin dans le labyrinthe, puis reprend la route. Le BRA annonçait risque 4 il y a quelque jours, puis c’est retombé à 2. Aujourd’hui, pas de danger à voir un tsunami de neige fraiche dévaler la pente et vous engloutir sans prévenir. Il est serein… mais seul sur l’itinéraire… enfin c’est ce qu’il croit. Ses yeux ont cherché en vain la moindre trace récente : carre de ski sur la neige, marque de la pointe des bâtons, entaille typique des couteaux à glace …. rien ! Comme d’habitude il porte son DVA, la pelle, la sonde…. mais maintenant un peu d’inquiétude alourdit le poids du sac.
Le topo lu la veille n’annonçait pas une pente si raide en début d’itinéraire, il est surpris : erreur de trajectoire ? Il traverse à gauche prudemment la pente gelée « j’aurais dû mettre les couteaux » pense t il dans sa tête. Ah ! enfin le paysage s’ouvre : douce rampe blanche devant lui, il y distingue le zig zag d’une trace. L’horizon est perché là haut : les crêtes. Deux petits points noirs s’y déplacent lentement « ils ont une heure d’avance » estime t il. Cette rampe encore plongée dans l’ombre s’avale avec aisance, le corps ne souffre pas de la chaleur. Une rengaine obsédante tourne en boucle dans sa tête : ce matin il marche avec une chanson de Renaud, le tempo s’accorde bien avec le rythme binaire des spatules. Le soleil inonde les crêtes. Douce caresse des rayons dorés qui chauffent ses épaules….que c’est bon ! Notre skieur prend un moment de repos, quelques goulées à la gourde et deux tranches de pain d’épice, il adore ça, il en mangerait des tonnes. Ensuite, regarder la carte, mettre un nom sur chaque sommet, ça c’est très important pour lui, et il les emporte précieusement dans une boite magique, son appareil photo numérique qu’il a toujours en poche. C’est un collectionneur …. de sommets. Enfin, à travers les jumelles son regard glisse le long des pentes, parcourt les arêtes, scrute le cairn d’un sommet, s’arrête sur ce qui ressemble à des traces de skis, s’attarde particulièrement sur un versant ensoleillé ….
Tandis qu’il range tout son bazar, un nouveau projet prend forme pour les jours à venir. Il a déjà repris sa route tout en y réfléchissant. L’étroitesse de la crête l’oblige à être vigilant : il sort de ses rêves « ce n’est pas le moment de se prendre une gaufre » dit il tout haut. A gauche ce serait une glissade dans une neige ramollie de la pente ensoleillée suivi d’un saut de barre rocheuse et à droite dans l’ombre sournoise, le toboggan d’une neige dure qui râperait le pantalon…. et même plus que le pantalon. Il met les couteaux à glace par sécurité et ouvre chaque « conversion accordéon » avec prudence.
Le soleil chauffe déjà, notre skieur transpire un peu et même beaucoup. Voilà maintenant qu’il souhaite un peu de vent, celui que l’on maudit souvent sur les crêtes étroites… et ce qu’il craignait arrive : la neige chauffée « botte » sous les skis. Plus de glisse, l’effort augmente et les paquets de neige collés transforment notre skieur en culbuto prêt à basculer. Notre homme est le fils de la Mère Prudence : il sort de sa trousse à outil une bombe aérosol de silicone dont il arrose copieusement les peaux de phoque qu’il a auparavant décapées avec un opinel.
Le sommet est tout proche : une corniche en barre l’accès. La trace se dirige naturellement vers un point de faiblesse qui est devenu une énorme entaille par les nombreux passages ces derniers jours de beaux temps. Ah ! le sommet. Appelé la Pointe Marcelette !….. pourquoi un tel nom ? Pourquoi pas Marcelle ou Marcel ? il n’y a pourtant rien de plus haut à la ronde. Il recale son alti sur 2900.
Grand silence, pas un chant d’oiseaux, tout ici est pour les yeux et il y en a trop à voir , à regarder , à identifier. Il s’installe : les skis plantés verticaux côte à côte seront le dossier d’une chaise confortable, un sac plastique posé sur la neige protègera du froid ses fesses fragiles. Tandis qu’il engloutit son pain d’épice, les yeux collés aux jumelles, son regard balaie lentement l’horizon, s’accroche à chaque sommet où, au même instant de minuscules silhouettes mobiles accomplissent après le même effort, le même rituel du randonneur à skis : casse croute, gourde, repos et contemplation.
Il sort brusquement de ses rêveries, des voix inattendues interrompent ces instants privilégiés. Ils sont trois qui arrivent par l’autre versant. Salut amical de montagnards, discussion sur l’itinéraire emprunté….

Arrive enfin la partie plaisir : la descente. Agrément souvent de courte durée hélas : 4 à 5 heures d’effort de montée pour 1 heure de descente…. Ça fait un rendement de 0,2 environ mais sans carburant dopé : voilà une machine (humaine) de faible efficacité diront les skieurs de piste qui ont du mal à comprendre une telle passion pour ce genre d’activité…. mais bon ! …. Surtout que la descente n’est pas toujours chose facile. On n’est pas sur une piste damée, ratissée de fines rayures esthétiques telle une pâtisserie, où les skis s’engagent sans surprise, sans effort, sans secousses. Ici loin de tout, avec un sac en charge sur le dos, on met pédale douce sur les prétentions, évitant toute cabriole farfelue … surtout en solitaire.
Fixés à quelques mètres devant sur le manteau de neige, les yeux balaient la surface, mesurent la qualité de neige, repèrent les obstacles, cherchent les vaguelettes de poudreuse…. Ici, c’est comme au restaurant le menu est variable d’une saison à l’autre, et même d’un jour à l’autre, mais c’est pas à la carte. Vos yeux pourront y lire « plaisir de poudreuse légère » ou bien «douceur de moquette transfo » mais une autre fois vos jambes diront « béton éreintant » ou pire encore «casse croute déroute ».
Dès la corniche notre skieur engage dans une poudreuse tassée, mais avec retenue : on n’est jamais à l’abri d’une plaque à vent près de crêtes. Puis serein il se lâche et s’enfile une longue pente en godille. Tiens ! il s’arrête : un problème ? Pas du tout : il sort sa boite magique et emporte les dernières photos du sommet, surtout celle de la pente godillée. C’est un expert des images, il réussit toujours à cadrer son visage souriant sur fond d’un versant immaculé où apparait une seule trace parfaite : la sienne. Puis le style est moins gracieux : neige cartonnée. Vu de loin, la manière de skier informe sur la qualité de neige rencontrée. Plus bas c’est moquette à poils courts, puis moquette à poils longs demandant plus d’énergie dans les jambes. La forêt ensoleillée au parfum de résine vous accueille sur une neige lourde gorgée d’eau : fini la bonne glisse. Certains parlent alors de ski nautique…c’est dire !
Dans ce cas notre skieur sortira son joker : une simple bougie du temps jadis …bien avant EDF. Le dessous des planches vigoureusement crayonné avec cette barre de paraffine, il regagnera de la glisse, de la vitesse, puis le fond de la vallée avec la route, le village et la civilisation.

Laisser un commentaire